Frédérique Cintrat : « Ayons le courage d’être ambitieuse »

Fondatrice de la startup Axielles.com et d’Assurancielles, une entreprise de courtage et conseil spécialisée dans la Silver economy et la stratégie d’influence, Frédérique Cintrat est aussi l’auteure du livre Comment vient l’ambition. À l’approche du 8 mars, c’est justement sur ce sujet que nous avons souhaité l’interroger. L’ ambition, Frédérique Cintrat n’aime pas la genrer. Parce qu’avoir des ambitions, que l’on soit homme ou femme, c’est avoir envie d’avancer. Témoignage.

Frédérique Cintrat

Bonjour Frédérique, quelle est votre définition de l’ambition ?

 

Frédérique Cintrat : Il existe deux définitions de l’ambition. La première est de l’ordre du paraître, elle est liée à un désir de gloire et de pouvoir. On pense bien sûr à Bel Ami, le héros de Maupassant prêt à tout pour gravir les échelons. La deuxième définition est de loin celle que je préfère. Elle se manifeste par un désir ardent de réalisations, avec une dimension plaisir, un sentiment de fierté, une satisfaction d’avoir atteint ses objectifs, une envie de progresser, de se dépasser soi-même. L’ambition pour moi, c’est celle-là, celle qui donne envie d’avancer. Ce n’est pas l’ambition d’avoir le pouvoir, mais d’avoir le pouvoir pour réaliser ses ambitions.

L’ambition est-elle différente quand on est une femme ?

 

Frédérique Cintrat : Je n’aime pas parler d’ambition féminine, cela ennuie ! À mon sens, l’ambition n’est pas différente quand on est une femme. Mais il faut bien le dire, l’environnement, notre société, ne leur renvoient pas la même image. L’ambitieuse est parfois encore mal vue dans certaines entreprises parce qu’on associe les femmes au « care », au soin qu’elles apportent aux autres, avec l’image de la maternité. Alors qu’un homme ambitieux est celui qui saura jouer des coudes pour se faire une place. Cela est communément admis.

Et du coup, les femmes ont plus peur d’être ambitieuses ?

 

Frédérique Cintrat : Effectivement, on parle du syndrome de l’imposteur. Certaines femmes ne se sentent pas légitimes et perdent en confiance. Le problème est d’abord lié à l’éducation. Peu importe le contexte socio-culturel d’ailleurs, on s’aperçoit que plus il y a une assignation de genre précoce, et moins les femmes ont envie de se projeter sur des activités dites « masculines ». Les femmes vont aussi plus facilement se poser des questions du style : « Est-ce que j’ai ma place à ce poste là ? ». Le fait même de se poser la question est révélateur. Il existe clairement une pression de l’environnement. Le regard de la société est plus critique envers les femmes. Et dans certains univers, elles ne s’autorisent pas le droit à l’erreur parce qu’elles se disent qu’elles doivent encore davantage prouver qu’elles sont à leur place qu’elles risquent de « se faire allumer ».

Pourtant, ces dernières années les scandales ont dû faire bouger les lignes ?

 

Frédérique Cintrat : Le phénomène #Metoo a créé une ouverture sans précédent et a instauré des réflexes. Aujourd’hui, les femmes osent davantage revendiquer. En entreprise, on voit bien que les lignes bougent aussi dans le même sens. Les tables rondes sans femmes, cela ne passe plus. Les hommes savent qu’ils n’ont pas le choix, que cela va se remarquer et que cela va même leur être reproché.

Mais je reste convaincue qu’il ne suffit pas de pointer du doigt les comportements machistes. Les femmes aussi doivent y aller. Chacune d’entre nous doit être « lean in », comme le dit si bien Sheryl Sandberg, de Facebook. Il faut avoir le courage d’être ambitieuse. Ce n’est pas facile, mais c’est un passage obligé pour certains postes. Être ambitieuse, c’est aussi ne pas se contenter de faire ce qu’on sait faire.

Selon vous, une femme peut-elle affirmer son ambition lors d’un entretien de recrutement ?

 

Frédérique Cintrat : Cela dépend de la culture d’entreprise et du poste convoité, selon que l’on se projette dans un poste très opérationnel ou que l’on voit déjà le « next step ». Dans ce cas-là, je pense qu’une femme a tout intérêt à affirmer ses ambitions. Mais cela est aussi valable pour un homme ! Encore une fois, l’ambition n’a pas de genre.

De mon expérience, pour avoir échangé avec des recruteurs de plusieurs cabinets de conseil, j’ai remarqué que les jeunes femmes étaient moins revendicatives que les hommes. Eux n’hésitaient pas à parler de « l’après » justement.

Quel conseil donneriez-vous à une femme ambitieuse ?

 

Frédérique Cintrat : Qu’elle essaie d’aller au bout de ses rêves, qu’elle tente ! Être ambitieuse, tout d’abord, cela ne doit pas se penser d’une façon genrée, ce sont les gens qui sont ambitieux. C’est aussi se demander comment l’on progresse, c’est prendre des risques, c’est sortir de quelque chose de douillet, se confronter à une part d’inconnu, oser. Et c’est relatif à chacun.

Et quel conseil donneriez-vous à une entreprise ?

 

Frédérique Cintrat : À l’époque où je travaillais dans le groupe Caisse des Dépôts, les RH avaient identifié un vivier de hauts potentiels, et s’étaient aperçus qu’il y avait un petit décalage d’âge avec les femmes, lié au fameux gap de la maternité. Cela leur avait permis de ne pas faire l’impasse sur certains talents et ils avaient ainsi décidé de décaler le curseur d’âge pour les femmes afin qu’elles soient moins pénalisées. Et clairement j’observe un regain de motivation et d’ambition à partir de 45 ans et plus. Les femmes ont alors plus que jamais l’ambition de se réaliser professionnellement et de travailler sur des projets intéressants. Alors si je n’avais qu’une chose à dire aux entreprises, ce serait : soyez à l’écoute de ces profils !

Retrouvez Frédérique Cintrat sur son blog : www.frederiquecintrat.com

Son livre « Comment vient l’ambition ? » est disponible aux éditions Eyrolles.